Fabien Maierhofer est un freerider passionné, ou plutôt un « couteau suisse du ski » aux multiples talents. En tant que guide de canyoning mais aussi youtubeur, photographe et cinéaste, il fusionne sa passion pour les sommets avec son amour pour la vidéo. Cet hiver, lui et ses amis se sont lancé le challenge d’enchaîner les 14 sommets de 2000m dans les Bauges en seulement 10 jours, et avec un dénivelé positif de 15 000 mètres. Une aventure qui témoigne de sa détermination et de son habileté. Sa philosophie, ancrée dans le respect de la montagne, transparaît dans ses exploits, mettant en avant la sécurité et la préservation des sites naturels. Il a donc réalisé un film, fruit de cette aventure, qui a reçu le prestigieux prix « Préserve ta montagne », label environnemental de France3 Auvergne-Rhône-Alpes, soulignant son engagement envers la nature et l’environnement.
Notre équipe a souhaité alors l’interviewer pour en savoir plus…
L’interview captivante de Fabien Maierhofer :
« Je ne peux officiellement plus dire que je suis un chat noir »
Est-ce que vous êtes les premiers à avoir enchaîné les 14 sommets en un hiver ?
Alors on est les premiers à avoir fait les 14 X 2000 (des Bauges) en hiver. La seule trace que j’ai trouvée, c’est sur internet et c’est un mec qui voulait les faire, il cherchait du budget pour les faire en raquettes. Son objectif était de montrer quels sommets étaient les plus durs. À part ça, je n’ai trouvé aucune autre trace. Quelqu’un d’autre l’a fait en plusieurs hivers mais en un coup comme ça, c’est sûr à 98% qu’on est les premiers.
Est-ce qu’on peut dire que c’est un exploit ?
Sportivement on ne peut pas dire que ça soit un exploit surtout quand tu vois ce que Kilian (Jornet) vient de faire dans les Pyrénées. Par contre, on peut dire que c’est une prouesse d’avoir eu de la neige froide pendant 14 sommets. C’est plus la météo favorable qui est un exploit que l’aspect sportif en lui-même. Après, OH, c’était quand même dur hein ! *rires*
Quel a été ton sommet préféré parmi les 14 ?
J’ai bien aimé la Grande Faille du Pécloz. J’espère qu’un jour on aura l’occasion d’aller faire la suite, le Deprofundis, qui va jusqu’en bas de la vallée.
Si tu dois sortir un souvenir de ce qui te reste là aujourd’hui, quel serait-t-il ?
Et bien, les Bauges c’est beau ! Il y a ce côté hyper sauvage avec des montagnes sans remontées mécaniques à seulement 45 minutes ou 1 heure de chez moi …
Comment l’idée vous est-elle venue ?
L’idée vient de moi mais elle est vieille ! Il y a 5/6 ans au moins, ça me faisait rire car Liv Sansoz, qui était dans la team Salomon, avait sorti les 82 X 4000. Puis il y a eu Cody Townsend avec les 50 plus belles lignes en Amérique du Nord. Il lançait sa websérie là-dessus à l’époque. Et un jour, dans un resto à Val Thorens, entouré de la team Salomon, je dis « non mais moi je vais faire les 14 X 2000 des Bauges et puis ça ira bien ». Ça fait rigoler tout le monde, moi le premier, sauf quelques personnes qui me disent « mais c’est une super idée en fait ton truc là, tu devrais y réfléchir un peu plus ». Après j’ai eu l’idée de faire une vidéo par sommet, de les diffuser sur Youtube comme j’ai l’habitude de faire. Mais finalement, la création de 14 vidéos couplée à un casse-tête météorologique ont eu raison de ma motivation, c’est donc tombé à l’eau. En plus à l’époque, je ne savais pas qu’il y avait des autorisations à avoir.
Et l’année dernière, l’idée a refait surface dans mon esprit, je me suis donc plongé dans les démarches administratives. Je me suis dit “si on a les autorisations pour filmer dans la réserve nationale, let’s go”. Il y a eu un petit pari sur les autorisations car elles ont mis du temps à arriver. On savait qu’on allait les recevoir avant la fin du projet mais on a dû faire les sept premiers sommets sans les avoir. On était obligé de prendre ce pari à cause des bonnes conditions météo, ce qui n’allait pas durer !
Tu parlais des 82 x 4000 des Alpes, ça te tente ?
Pas du tout ! Parce que je fais un peu d’escalade, je fais un peu d’alpi aussi mais à mon niveau. Et il faut dire ce qui est, je ne suis quand même pas bon. Ça reste compliqué comme projet. Je pense que c’est plus dur de faire des 82×4000 que d’aller se faire un 8000. C’est hyper technique.
Des moments difficiles et des tensions dans le groupe, il y en a eu ?
Moralement, pour moi ça a été dur. Mais je ne vais pas me cacher derrière le fait que je ne m’étais pas trop entraîné pour le faire. Je pense qu’on voit bien dans le film que j’en chie un peu, je pense même qu’on aurait pu le voir plus. Même Mathieu Navillod, qui est hyper solide, en a bavé. Finalement, il n’y a que Nico le vidéaste, Mathieu et moi qui avons fait les 14. Les autres n’ont pas tout fait, seulement quelques portions. Il n’y a pas eu de vraies tensions au sein du groupe, plutôt des moments de doutes imperceptibles dans le film. Pour Arcalod notamment, on avait demandé l’avis de Jérémy Janody, guide et auteur de nombreuses ouvertures dans le massif, qui nous déconseillait d’y aller par rapport aux conditions. Je dois dire que Mathieu a été perspicace à ce moment-là en disant “Non on ne peut pas attendre plus, il faut y aller sinon notre projet va tomber à l’eau, la neige n’est pas prévue dans les prochains jours”. Christophe Dumarest, par chance, était disponible et motivé pour nous guider là-haut. En plus, c’était quelque chose qu’il souhaitait faire depuis longtemps. Banco. Et même si les conditions n’étaient pas optimales, on a tenté le coup.
Sans un guide, Arcalod aurait été compliqué ?
S’il n’y avait pas eu Christophe qui tirait un peu et qui nous montrait que ça passait, je ne sais pas combien de temps on aurait mis pour terminer l’arête. Il n’y a rien pour se protéger, tu es en corde tendue, on a mis quelques coinceurs, mais bon. Si quelqu’un tombait d’un côté, l’autre devait se jeter de l’autre côté. La dernière heure où c’était un peu effilé, il n’aurait pas fallu que ça dure plus longtemps parce que je commençais vraiment à en avoir marre, voilà *rire*.
Est-ce que le film « Sur le fil des 4000 » de Patrick Berhault t’a inspiré ?
Dans un premier temps, j’ai regardé énormément de tutos car j’adore la manière dont on construit un film. Je n’ai pas forcément réussi à faire tout ce que j’aurais aimé faire. En tout cas, j’ai regardé Terminator 2 et Once Upon a time in Hollywood. Étonnamment je me suis plus inspiré de films hollywoodiens que de films de montagne. Je ne sais pas si vous connaissez des tutos de Studio Blinder, sur YouTube, qui décortique les films et explique comment faire du storytelling, comment faire de l’humour dans les films, etc. J’ai surtout regardé ça car ça me passionne ! Comment construire un film plutôt qu’autre chose. Alors j’imagine que vous allez me dire c’est plus ou moins bien réussi mais en tout cas, pour moi le but était d’insérer un tas de mini-histoires au sein du film et c’est chose faite. Il y en a plein. Il y a toujours un début, un milieu et une fin. Ça permet de passer les 42 minutes assez rapidement. Tu ne les perçois pas forcément au premier regard. Pour ceux qui les voient dès le premier visionnage, c’est super intéressant.
En ce qui concerne la voix off, on a pris le temps de la faire correctement. Je les ai écrites et Mathieu m’a aidé à les refaire en français puisqu’il me faut un orthophoniste parfois *rire*. Ce qui est intéressant aussi c’est qu’il y a plusieurs degrés de lecture, plusieurs interprétations possibles. Les mini histoires ont bien fonctionné, à part peut-être une. Je ne sais pas si on peut le dire, ça va un peu spoiler, mais mon but c’était de faire passer Mathieu pour mon faire-valoir, et qu’à la fin les spectateurs se disent “mais en fait c’est Fab le faire-valoir”. Mais c’est ressorti qu’une fois pour l’instant. Je suis un peu déçu, je pensais que ça allait être plus facilement perceptible.
Le gant sur le pied de Clément Picard, c’était une mise en scène ?
Pas du tout ! On a dû écourter cette séquence, sinon le film aurait été interminable mais c’était mémorable. Quand on termine notre descente dans le brouillard, impossible de joindre Clément à la radio. Pour repartir, il fallait remonter sur une crête et là on voit des traces à pied. À ce moment-là, on s’est posé plein de questions, avait-il perdu un ski ? Pourquoi a-t-il voulu grimper à pied ? Donc on a décidé de suivre ses traces. Quand on l’a retrouvé dans sa grotte, il avait le pied gelé et sa moufle sur les orteils. On l’a vraiment retrouvé comme ça. Il nous a avoué que par crainte de glisser sur la neige gelée, il avait préféré déchausser. Il est vrai que la visibilité était plus que limitée à ce moment-là, avec pas mal de gaz en dessous. Clément, c’est un personnage ! Même si une moufle sur le pied peut sembler absurde, nous, ça ne nous a pas surpris. *rire*.
Si c’était à refaire, qu’est-ce que vous changeriez ?
Pas grand-chose … Peut-être faire intervenir plus de personnes dans le projet. Notamment Cédric Grand alias mistergoodguide. Mais tout s’est passé tellement rapidement que les disponibilités des uns et des autres étaient limitées en pleine saison d’hiver. Avec Mathieu, on s’est dit qu’on n’avait pas le choix que de saisir ce créneau, donc on a fait sans certaines personnes. Il fallait envoyer et saisir l’opportunité. On aurait certainement pu montrer davantage les « à côté », les moments de vie autres que ceux passés sur les skis. Mais je ne souhaitais pas réaliser un film à rallonge, plutôt viser l’essentiel.
Un grand merci Fab. Un dernier mot pour conclure ?
La conclusion : on a vraiment eu du cul ! Je ne suis même pas sûr que ça se refasse un jour. Quand tu en parles avec les Baujus, ils nous confirment bien la chance qu’on a eue. Pour que la neige reste froide, que le manteau neigeux soit stable et la météo clémente, c’était inespéré. Je ne peux officiellement plus dire que je suis un chat noir. Tout s’est bien goupillé. La grande faille par exemple, ça a marché une semaine dans l’année, seulement 2 traces avant nous, s’il y en avait eu 3 de plus, on ne pouvait pas passer. Ou alors c’était un moonwalk géant. Du cul, ni plus ni moins.
On espère, avec cette interview, vous avoir donné envie d’aller voir le film ! En tout cas, nous on l’a vu et on a adoré ! Il tourne actuellement dans plusieurs festivals, et il passera également à la TV prochainement sur France 3. Ne loupez pas sa sortie officielle le 19 décembre, sur Youtube. 🎥